La nouvelle sexualité des seniors
La vie sexuelle des seniors constitue l’un des derniers sujets tabous touchant à la sexualité. Or, ce sont bien nos seniors d’aujourd’hui qui ont permis la libération sexuelle dans laquelle s’épanouit la jeunesse du XXIe siècle, libération dont ils comptent – avec raison – jouir jusqu’au bout. Cependant, vont-ils à l’encontre des limites de leur corps, de la nature ? Question que nombre d’entre eux se pose… Or, si le reste de nos fonctions physiologiques s’accommode du nombre d’années écoulées, il en est de même de notre vie érotique. Il nous appartient donc de nous adapter, d’assumer et de réinventer notre sexualité en fonction de notre âge.
Une génération de plus en plus disponible
Tout au long des dernières décennies, la médecine s’est démenée afin d’offrir aux seniors santé et longévité, négligeant complètement le chapitre « épanouissement sexuel » qui ne constituait pas une priorité. Or, si le monde médical a gagné son pari en permettant une bien meilleure qualité de vie jusqu’à la fin du voyage, il a de façon concomitante créé une disponibilité nouvelle pour une vie sexuelle plus libre car non assujettie aux contraintes de la reproduction. Par ailleurs, la santé sexuelle, de par son appartenance au concept plus large de « Santé », est certainement l’un des droits légitimes de tout être humain, et ce quelque soit le nombre de ses cheveux blancs.
Des modifications réelles
Cependant, ne rêvons pas trop. S’il est motivé et consent à quelques efforts, chacun peut vivre pleinement sa sexualité au fil des années. En effet, comme l’on n’a pas encore découvert la fontaine de jouvence, l’âge provoque des modifications tant physiologiques que sociales, relationnelles et psychologiques, qui ne doivent plus constituer des obstacles infranchissables si on les accepte et s’y adapte.
Un corps qui change
Bien connaître et assumer les changements corporels dus à l’âge permet déjà de pallier à certains inconvénients du vieillissement sans mettre en cause son estime de soi. Nous ne sommes pas égaux face aux changements liés à l’âge. Untel a des troubles de la vision, un autre se plaint de son audition, un autre encore de rhumatismes. Il en va de même pour les fonctions sexuelles. Ce que les recherches scientifiques ont pu établir est un certain ralentissement de la réactivité sexuelle. L’excitation, notamment, même si elle est intensément vécue au niveau psychologique met plus de temps à s’exprimer physiologiquement aussi bien chez la femme que chez l’homme.
En pratique, l’érection de l’homme mûr n’est plus au rendez-vous spontanément ou en quelques secondes comme chez le jeune, son apparition est retardée de quelques minutes… Ce qui laisse le temps pour des caresses et des jeux érotiques plus prolongés et permet aux éjaculateurs rapides de ralentir le rythme… Ces caresses réciproques se font de plus en plus nécessaires à l’installation d’une érection satisfaisante pour les deux partenaires… Elles rapprochent le couple dans son intimité en prolongeant le temps de l’échange et des contacts sensuels… Mais il appartient à la partenaire d’en être consciente. La contribution active de la partenaire est donc vivement recommandée afin de déclencher l’érection ainsi que son maintien. La rigidité quant à elle, fluctuera en fonction des risques cardio-vasculaires dont les effets néfastes sur les artères péniennes et leur élasticité s’accumulent avec l’âge. Ainsi, le tabac, l’hypertension artérielle (au dessus de 13 !!!) mal contrôlée, le diabète mal équilibré (troubles neurologiques associés), les dyslipidémies, l’obésité et la sédentarité se multiplient aux effets de l’âge et sont souvent plus délétères sur la fonction sexuelle. Sans oublier les effets secondaires sur la fonction érectile des traitements oraux dont l’utilisation augmente avec l’âge (tels certains antihypertenseurs et antilipidiques) ainsi que l’impact direct ou indirect des maladies (adénome prostatique, cancer de la prostate…) et de l’altération de l’état de santé général.
Parallèlement, la lubrification vaginale est également retardée de quelques minutes sans pour autant émousser le plaisir. Cette lubrification, moins abondante surtout en cas d’inactivité sexuelle, est accompagnée d’une perte de l’élasticité des tissus périnéaux et donc d’une réponse physiologique plus lente lors de l’excitation et moins intense sans pour autant influencer la capacité orgasmique. À ceci s’ajoutent un changement du Ph local et un amincissement de l’épithélium vaginal pouvant provoquer des douleurs à la pénétration et lors de l’acte sexuel, des infections et des blessures mécaniques si la femme n’est pas bien préparée par son partenaire. L’on en déduit que les acteurs de l’équation sexuelle ont besoin d’un temps d’échanges érotiques plus long avant la pénétration. L’usage des lubrifiants permet de contrecarrer la sécheresse vaginale. Il convient d’insister sur le fait que le meilleur moyen de combattre les effets du vieillissement sur les organes génitaux est de maintenir son activité sexuelle, dans le plaisir, bien entendu. Certaines études ont même démontré que lubrification et élasticité étaient plus longtemps préservées en cas d’activité sexuelle régulière (par masturbation ou par des relations)…
Jeanne, 61 ans nous expose son vécu: « J’étais convaincue que la ménopause était la source de ma sécheresse vaginale. Mon médecin traitant mettait en cause la carence hormonale et voulait me mettre sous traitement hormonal substitutif. L’idée de prendre des hormones ne me tentait guère…et je ne regrette pas d’avoir refusé la proposition de mon médecin : depuis, j’ai rencontré un homme formidable, divorcé comme moi, avec qui je renais à la vie. Non seulement je lubrifie abondamment dans ses bras mais je n’ai jamais gouté à un plaisir aussi intense »
Un plaisir conservé
Concernant l’orgasme, les muscles périnéaux s’affaiblissant avec l’âge, les contractions vaginales chez la femme diminuent en intensité et en nombre ainsi que la force d’expulsion du sperme et la quantité de sperme éjaculée. Mais le plaisir est heureusement toujours au rendez-vous même s’il est vécu différemment.
Chez l’homme, la détumescence est bien plus rapide que dans le passé. En outre, la période réfractaire peut-être plus longue et dépasser 24h, voire même durer plusieurs jours. Parfois, l’éjaculation peut ne pas se produire, mais en revanche le niveau de satisfaction sexuelle masculine ne diminue pas avec l’âge contrairement à celui de certaines femmes. Cette différence est-elle due à une absence de motivation reproductrice chez la femme senior ? À une image corporelle vécue négativement ? Ou à une réalité physiologique ? Non seulement les effets néfastes influençant la sexualité se multiplient entre eux (et il est difficile de les isoler) mais de plus l’expérience du plaisir en général et féminin en particulier est tellement imprégné subjectivement qu’il est difficile de faire la part des choses.
L’impact des déficits hormonaux sur le désir sexuel
Du coté féminin
La ménopause naturelle ou post-chirurgicale est l’expression de la chute de la production ovarienne des hormones féminines (l’œstrogène et la progestérone) mais aussi androgéniques. Si ce tournant majeur de la vie d’une femme signe la fin de sa vie reproductive, elle n’est pas synonyme pour autant d’extinction de son désir sexuel et de sa capacité à l’épanouissement. En effet, contrairement aux fausses croyances, les effets directs de la carence en hormones féminines accompagnant la ménopause (sécheresse vaginale ou douleurs coïtales) sont remédiables à l’aide d’une activité sexuelle régulière, de lubrifiants ou de traitements hormonaux substitutifs si possible sans altérer réellement la libido. Actuellement, l’on s’interroge plus sur l’effet de la diminution de la production androgénique ovarienne autour de la ménopause. Selon les dernières études, la production de testostérone par les ovaires et les glandes surrénales joue un rôle important dans la qualité de la santé sexuelle féminine. Une diminution du désir sexuel, une baisse de l’énergie au quotidien, ainsi que la fatigue chronique pourraient être à la source d’une baisse significative des niveaux de testostérone. Ces taux de testostérone diminuent avec l’âge et peuvent être physiologiquement bas, et ce bien avant la ménopause. Cependant l’ajout d’androgène au traitement hormonal substitutif de la ménopause reste controversé et semblerait plus indiqué dans les cas de ménopause précoce ou de ménopause induite. En effet, cette baisse fluctue d’une femme à l’autre ainsi que son impact sur sa libido. Cette dernière est le plus souvent fragilisée par l’impact indirect et le retentissement psychosocial individuel accompagnant la ménopause.
Nicole 58 ans en témoigne : « À la suite du décès de mon mari, j’ai vendu la maison trop grande pour moi toute seule et ai déménagé pour habiter à coté de ma fille. Je ne connais personne dans la nouvelle ville où j’habite et je n’ai pas vraiment eu l’occasion de rencontrer un nouveau partenaire. Ca me manque de temps en temps mais ma libido est assez basse en ce moment. Je ne me sens pas assez séduisante, je n’ai pas l’impression que les hommes me regardent comme avant… »
L’altération de l’image de soi, la dépression, une vie sociale amoindrie du fait de la retraite, le départ des enfants du domicile familial, l’attitude du partenaire s’il existe, un divorce, un deuil… sont autant de perturbations influençant négativement cette période de transition. Il en résulte une diminution significative de la libido chez un tiers des femmes concernées par la ménopause. Une partie de ce tiers va se résigner et fuir une sexualité qui peut-être était déjà insatisfaisante auparavant, usant ainsi de la ménopause comme d’un bon prétexte pour mettre fin à un devoir conjugal déplaisant. Les autres vont se priver d’un plaisir à contrecœur du fait du manque de partenaire, d’un manque de confiance en soi, de troubles érectiles chez le conjoint ou même du fait de leurs préjugés associant le droit à la sexualité à la jeunesse. Or environ deux tiers de ces femmes vont conserver leurs pulsions sexuelles voire un regain de désir et un épanouissement sexuel nouveau. Libérées des contraintes de la reproduction et de la contraception associée, allégées des soucis familiaux et professionnels, elles se trouvent plus disponibles pour cultiver leur féminité et à l’assumer pleinement, pour s’occuper d’elles-mêmes et être donc à l’écoute de leur désir, réunissant ainsi toutes les conditions nécessaires à une sexualité satisfaisante. Pourtant, elles n’ont pas découvert de produit miracle ! Elles ont juste compris que la poursuite d’une sexualité régulière associées à une bonne dose d’attitudes positives et un soupçon d’estime de soi sont les meilleurs ingrédients pour une vie sexuelle épanouie quelque soit l’âge.
Marie, 63 ans, avoue avec un petit sourire au coin des lèvres : « Depuis que la crainte d’une grossesse non désirée ne me hante plus et depuis que mes enfants sont partis faire leurs études à l’étranger, je n’ai jamais autant apprécié faire l’amour avec mon mari. Je me sens libérée d’une double contrainte et ça me donne des ailes. Mon époux est enchanté et savoure pleinement cette agréable surprise… »
Du coté masculin
Soyons francs, la sexualité masculine est bien moins entourée de tabous et de préjugés. Ainsi, la continuation de l’activité sexuelle masculine avec l’âge est bien mieux acceptée et même requise dans certains milieux. Il faut dire que la nature les aide puisque la ménopause n’a pas d’équivalent masculin, et que la médecine fournit grâce aux IPDE5, une aide à l’érection dont l’efficacité est irréfutable et les effets secondaires minimes. Cependant, en cas de déficit androgénique lié à l’âge, baisse de la testostérone progressive chez certains hommes, les effets du déficit sont plus ressentis que chez la femme. Absence de libido, troubles de l’érection, fatigue généralisée, perte musculaire, déminéralisation osseuse, insomnies et troubles de l’humeur…vampirisent la vie érotique du sujet et doivent pris correctement en charge par le médecin traitant.
Comme chez sa partenaire, le contexte psychologique, social et relationnel contribuent à multiplier les effets délétères d’une baisse hormonale ou de pathologies cardio-vasculaires.
Georges 65 ans raconte d’un air rêveur : « Je me suis marié assez jeune (23 ans) et depuis j’ai toujours été fidèle à mon épouse. Je ne l’ai jamais trompée par principe et par amour surtout que nous avons toujours eu du plaisir ensemble. Nous avons eu très vite des enfants et nous nous sommes embarqués dans une vie de famille dont je ne regrette aucun moment. Mais il faut avouer que depuis deux ans, depuis que j’ai arrêté de travailler, notre vie sexuelle n’a jamais été meilleure. Nous sommes tellement plus disponibles que nous avons enfin l’opportunité de donner libre cours à nos fantasmes et fantaisies. Nous pouvons enfin faire l’amour à l’heure qu’on le désire, dans la pièce de notre choix, après avoir pris un bain ensemble ou tenté la nouvelle huile de massage achetée la veille dans une atmosphère de détente et de laisser aller…sans tabous… »
Une sexualité à réinventer
Contrairement aux idées reçues et aux fausses croyances propagées, désir et plaisirs érotiques accompagnent notre vie le long du chemin tant que notre santé nous le permet.
Mais attention ! S’il n’y a pas d’âge pour s’aimer, cela implique une certaine adaptation aux nouvelles exigences du corps et un investissement du couple vers une sexualité différente, ayant su évoluer de la pulsion de la jeunesse vers une intimité savoureuse et une complicité renforcée. Le dialogue qui permet un meilleur accompagnement de l’autre vers la découverte de ce nouveau monde de plaisir et d’émotions partagées, fonde la complicité, le bonheur du partage dans la confiance et la séduction. Séduire et plaire pour mieux s’aimer soi-même, pour inviter et encourager l’autre à nous suivre ; mais aussi pour apporter de la nouveauté, de la surprise, là où la routine tissait sa toile d’ennui. Et pour ce, une bonne dose d’humour et de tolérance est nécessaire afin de pouvoir entrer dans le jeu, dans la danse vertigineuse d’une sexualité épanouie sans laisser les nouvelles réalités physiologiques constituer un obstacle. Il ne faut pas ignorer ces réalités, mais au contraire en tenir compte, cela fait partie du respect de soi et de l’autre et évite d’être confronté à la blessure cuisante de l’échec. Ainsi, les préliminaires se prolongent et on se donne du temps, pour mieux s’aimer, préparer en douceur son corps et celui de l’autre à la jouissance. Un corps « sensualisé » à l’extrême dans un espace temps illimité, sans hésiter de s’aider de toutes les ressources cachées de l’imaginaire érotique parfois longtemps refoulé. En conclusion, savoir écouter son corps et l’autre, et aussi oser s’affranchir de ses préjugés et se libérer. Car après tout, pour lutter contre le vieillissement, rien de tel que les ébats amoureux ! Là est peut-être la véritable potion magique…
Dr. Sandrine Atallah