Sexualité 2.0

La révolution numérique à laquelle nous assistons depuis une quinzaine d’années avait déjà grandement modifié nos comportements sexuels. Que ce soit dans nos pratiques ou dans nos « modes de consommation ». Il en a souvent été question dans ces colonnes. Depuis l’avènement des connexions très très haut débit et de l’Internet mobile à bas coûts quasiment démocratisé pour l’ensemble de la planète, il semble que nous soyons désormais à l’aube d’une nouvelle ère, celle de la sexualité virtuelle, elle aussi ultra connectée. Revue de ces nouveautés, et de ce qui nous attend jusqu’en 2050…

 

Dans la longue liste des semi-nanars américains des vingt-cinq dernières années, d’aucuns se souviennent peut-être de Demolition Man (Marco Brambilla, 1993), film d’action futuriste dans lequel le personnage principal de flic aux méthodes musclées interprété par Sylvester Stallone débarque en 2032 dans un futur aseptisé, ou même les relations sexuelles « classiques » n’existent plus. La belle Sandra Bullock qui joue sa partenaire lui propose un soir de « faire l’amour », de but en blanc… Et lui tend ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui des lunettes à réalité virtuelle, au grand dam de l’inoubliable Rocky !

Des productions plus récentes – et un peu plus travaillées… – ont également exploité ce filon de la sexualité futuriste, que ce soit en ayant recours à des robots humanoïdes – les Hubots – parfois uniquement destinés à l’esclavage sexuel (voir la première saison de l’excellente série suédoise Real Humans, 2011, de Lars Lundstrum), ou encore plus récemment dans le film de Spike Jonze, Her (2013), dans lequel Joaquin Phoenix tombe amoureux de la voix enchanteresse (celle de Scarlett Johansson en l’occurrence !) du système d’exploitation à intelligence artificielle de son ordinateur dernier cri.

Il n’y a encore que quelques années de cela, ces scénarios étaient qualifiés de pure (science) fiction. Or il semble que la réalité a désormais rejoint cette fiction, puisque tout ce qui vient d’être exposé, et bien plus encore, existe bel et bien ! Qu’il s’agisse d’applications mobiles de rencontre par géolocalisation, de lunettes 3D, d’objets connectés ou de « poupées gonflables » new-age, la sexualité est entrée de plain-pied dans le troisième millénaire ! Et comme le business du sexe a toujours une longueur d’avance, nous ne sommes sans doute pas encore au bout de surprises…

 

 

Smartphone one-shot !

Apparues il y a seulement deux ou trois ans, à la faveur de l’explosion combinée des sites de rencontres en ligne hyper spécialisés et de l’Internet mobile dont presque tout le monde dispose dans sa poche, les applications de rencontre furtive à but uniquement sexuel – on parle de culture du « Hook-up », apparue dans les milieux homosexuels – ont fait florès, du moins en occident.

Le pionnier, Tinder™, est toujours aujourd’hui un succès. Grâce à la géolocalisation, il permet de trouver n’importe où, même au détour d’une rue, le partenaire d’un soir que l’on a même plus besoin d’aller draguer dans un bar. Toute considération moraliste mise à part, il a apparemment permis de désinhiber grand nombre de personnes en manque de confiance. Viviane, 26 ans, nous raconte son expérience récente avec une amie parisienne :

« J’étais il y a quelques semaines de passage à Paris chez mon amie d’enfance Natacha, qui a toujours été très délurée. Nous étions à une terrasse de café, il était 22h, et elle m’a confiée qu’elle était bien motivée pour un coup d’un soir, comme elle appelle ça ! J’ai été interloquée de la voir sortir son téléphone, et en 3 minutes trouver le candidat qui lui convenait, qui nous a rejoint en moins de 15 minutes. Je les ai laissés là, et elle m’a raconté les détails le lendemain ! Croustillants !!!»

Plans Cul 2.0

Il y en a pour tout les goûts – une bonne dizaine d’applis sont disponibles – toutes fonctionnant plus ou moins selon le même mode de géolocalisation. Certaines sont même communautaires, telles Inchallah™ destinée aux personnes de confession musulmane, ou Theotokos™ à l’attention des chrétiens !!

Du point de vue statistique1, 38% des utilisateurs de ces applis recherchent un « plan-cul », et 47% ont eu un rapport dès le premier soir en sachant d’avance que ce serait sans lendemain.

1Enquete Ifop pour Cam4, 2015

Le plus : Peut permettre de « rebooster » les égos malmenés. En effet, les grands timides n’ayant pas une grande confiance en eux ou manquant de compétences sociales, n’ont plus de souci à se faire puisque la « sélection » se fait en amont, en toute connaissance de cause pour le partenaire d’en face ! Pratique aussi pour ceux qui n’ont pas le temps de passer par le parcours traditionnel des rencontres amoureuses : cafe-drink-resto-sex- afterplay- coup de fil relou du lendemain-excuses bidons…

Le moins : Une plus grande promiscuité et donc plus de risque de maladies sexuellement transmissibles (MST). Sans oublier la possibilité accrue de tomber sur un mauvais coup ou sur un psychopathe ! Enfin, attention de ne pas s’enfermer exclusivement dans ce genre de relation sans suite. Certains frisent même la boulimie en ayant jusqu’ à plusieurs « dates » par soirée, et ont ensuite le plus grand mal à se remettre dans le cadre d’une relation amoureuse « classique ».

Verdict : Sexualité version 2.1 : Rien de bien extraordinaire, du Fast-Sex quand on a besoin de se caler une dent sans avoir nécessairement envie de se prendre la tête. On n’entre pas véritablement dans une nouvelle dimension avec ce genre d’outils. Moins convenu que Facebook, plus direct que les sites de rencontres et plus ciblé que Whats’app, il s’agit donc d’un petit upgrade vis à vis des réseaux sociaux déjà existants.

 

Plus fort que la montre connectée 

Objet désormais presque familier depuis son lancement par la firme coréenne Samsung il y a quelques années, la montre connectée a depuis fait des émules. Il existe désormais des objets connectés pour à peu près tout et n’importe quoi. Cela va du four à la voiture, en passant par le pèse-personne qui vous donne l’alerte sur votre téléphone dès que vous dépassez les bornes caloriques !

Bien entendu, l’industrie du sexe s’est engouffré dans la brèche – si j’ose dire – et propose désormais pléthore d’articles plus ou moins faciles d’utilisation. Il suffit de se rendre dans un enseigne spécialisée pour se rendre compte que le vibromasseur classique est ravalé au rang du téléphone à cadran… Jihane, 41 ans, nous parle dans un grand rire du dernier cadeau de Khalil :

« Je suis plutôt ouverte d’esprit en matière de sexualité, mais je dois admettre que mon mari m’a bluffé ! Il avait passé deux jours à Berlin en rentrant d’un voyage d’affaires, et en avait profité pour faire quelques emplettes dans des enseignes plutôt spécialisées. En déballant l’objet, je découvre une sorte culotte moyennement sexy, mais accompagnée de piles et d’un manuel d’utilisation d’une dizaine de pages. Il s’agissait d’un string connecté avec fonction vibromasseur intégrée, activable à distance par un smartphone ou un tablette appairée ! Il voulait absolument que je la porte le lendemain, pour aller au bureau ! Je me voyais déjà sursauter son mon siège, tandis que lui l’activerait depuis n’importe où… Nous avons attendu le week-end ! » 

Devenez en un clic « teledildonics-addicts » !

L’imagination créatrice des industriels du secteur est sans limite. Une firme a récemment créé une sorte de webcam-godemichet-vibromasseur connectée, fonctionnant en BlueTooth, et permettant à l’utilisateur, via sa tablette, de voir l’intérieur du vagin de madame, et d’être ainsi témoin – qu’il soit soyez dans la pièce d’à côté ou à l’autre bout de la planète– de son orgasme !

Le plus : Pour ceux qui vivent ensemble : l’excitation de ne pas pouvoir prévoir la survenue des stimulations. Ainsi, ces sextoys connectés épicent un peu le quotidien. Pour ceux qui vivent à distance : de nouvelles possibilités de rester sexuellement actifs au sein du couple mais a distance. Pour les célibataires : du safe-sex virtuel riche en sensations.

Le moins : Une esthétique encore moyenne. Et attention aux risques de piratage de connexion BlueTooth ou internet par les voisins de l’immeuble ! Pour ceux qui sont en couple : une nouvelle forme d’infidélité virtuelle à rajouter à la longue liste des causes des disputes conjugales !  Pour les célibataires : un risque augmenté d’isolement social et de difficultés relationnelles chez les plus introvertis. Au Japon2 par exemple, 25% des hommes de 30 ans sont toujours puceaux tout en étant sexuellement actifs virtuellement !

2Chiffres cités par l’AFP, à partir d’une étude de l’institut national de Recherche sur la Population, le 8 juin2015.

Verdict : Sexualité version 2.3 : Juste un nouveau gadget,  sans plus. Ce type d’objet connecté d’un genre un peu particulier permet en effet de briser les distances, en procurant une stimulation sexuelle hors de la présence de l’autre. Reste tout de même à établir quelques règles afin d’éviter de se retrouver dans des situations embarrassantes !

 

Disponible en 3D près de chez vous !

Vous rêvez de vous transformer en bête de sexe dans un univers parallèle ? Vous avez été un adepte du jeu en ligne Second Life au milieu des années 2000 ? Alors les nouvelles opportunités développées par des firmes spécialisées sont pour vous.

Ce que les scénaristes imaginaient dans les années 90 est désormais presque la portée de tout le monde. Et pas besoin de se rendre en salles avec des lunettes en plastique ou dans des sex-shops interlopes installés dans des quartiers douteux… Les nouveaux masques 3D permettent de nous plonger dans ce que les spécialistes appellent le « Porno Immersif ». Dina, 36 ans, qui travaille à Londres dans le domaine des nouvelles technologies digitales, nous parle de sa dernière expérience en date.

« J’étais invitée l’autre soir à un happening au siège d’une grande maison de production X, sans que l’invitation ne précise de quoi il allait s’agir. De prime abord, un cocktail de lancement comme tous les autres, installé dans une galerie d’art de Camden. A l’exception d’une dizaine de fauteuils ressemblant à des sièges de classe affaires, mais sur lesquels étaient branchés en USB des masques noirs, comme ceux que l’on utilise pour le ski, mais aux verres opaques, ainsi que des gants et des capteurs à se fixer sur les jambes. Les hôtesses de la boite en question invitant chacun à son tour toutes les personnes conviées à tester leur dernière invention. Une fois affublée et connectée, je me suis retrouvée virtuellement allongée sur un lit, dans le plus simple appareil, avec face à moi un étalon dont les intentions étaient on ne peut plus claires… Je vous passe le détail sur la suite des évènements… Une expérience bluffante de réalisme en tout cas ! » 

Rien n’est vrai, tout est permis (dixit Ezio Auditore)

Les prototypes produits par ces entreprises spécialisées valent environ 300 €, et les versions grand public sont attendues dans les 6 mois qui viennent. La réalité virtuelle/sexuelle à la portée de tous via de véritables avatars digitaux ?

Le plus : La possibilité de réaliser ses fantasmes en toute impunité est désormais à portée de main. Plan à plusieurs, expériences hétérosexuelles/homosexuelles, SM, voire adultères, pour ceux qui souhaitent les tenter sans véritablement passer à l’acte… Il devient ainsi possible d’avoir une aventure avec son assistant(e) sans encourir les foudres de son/sa conjoint(e) ! Encore que… Plus sérieusement, cette technologie offre des débouchés intéressants pour la sexualité des personnes handicapés, qui n’ont parfois comme exutoire disponible que des moyens très limités en sensation.

Le moins : Le harnachement nécessaire préalable n’est pas des plus érotiques ! Et les sensations ne sont pas encore totalement au rendez-vous. De plus, quelques contraintes techniques limitent encore le réalisme du système : Corps trop standardisés, pas de vision à 360°. Bref, il reste encore du boulot pour s’y croire totalement.

Verdict : Sexualité version 2.7 : On entre ici véritablement dans la sexualité virtuelle, avec des scenarii programmables et personnalisables quasiment à l’infini. D’après les premiers testeurs, les sensations visuelles et certaines sensations tactiles sont au rendez-vous. Pour le reste, et surtout la véritable excitation, cela dépendra de chacun…

 

Real Humans ? 

Petit flash-back dans les années 80…Ceux qui ont un jour eu la curiosité d’entrer dans un sex-shop de Pigalle ou d’ailleurs se souviennent certainement de ces poupées gonflables glauques exposées ça et là, et disponibles pour quelques sous. Un plastique de mauvaise qualité, des cheveux en acrylique, un maquillage outrancier et des orifices béants. Bref, le sordide dans sa plus simple expression…

Bref Historique des « SexDolls »

Elles existeraient depuis le XVIIe siècle !!! Appelées les “dames de voyage”, ces poupées grandeur nature fabriquées à base de tissu, tenaient compagnie aux marins durant leurs longues traversées.

En 1908, les poupées deviennent gonflables, a base de caoutchouc et de plastique, avec des modèles tout autant masculins que féminins !

Au fil des années, ces poupées se modernisent et sont dotées de divers mécanismes qui permettent par exemple la simulation de secrétions vaginales ou de l’éjaculation via un tube pneumatique rempli d’huile.

Vers la fin des années 1960 et le  début des années 1970, la vente des sexdolls se démocratise dans les sexshops et surtout par correspondance.

Les années 2000 démarrent avec un service de location des poupées gonflables, assez courant au Japon.

Enfin, depuis quelques années, les poupées en silicone à l’effigie de célébrités telles que Rihanna, Lady Gaga et tant d’autres font fureur en ligne…

Retour en 2015 ! Des compagnies américaines ont été les premières à développer de véritables humanoïdes en matière de synthèse, un gel élastomère proche de la peau humaine, avec de véritable cheveux humains, des articulations réalistes, et tout ce qui va avec, y compris le prix ! entre 5000 et 10000 dollars pièce ! Imad, 29 ans, qui est chef de produit dans une de ces sociétés californiennes, nous en dit plus :

« Plus de 5 ans de recherche et de développement ont été nécessaires pour parvenir au produit final. Le résultat est criant de vérité, même si des améliorations sont encore à prévoir. D’ici 2020, nous avons pour objectif de sortir le premier robot destiné au sexe récréatif. Il sera même totalement personnalisable, pouvant prendre l’apparence de personnages réels. Notre département juridique s’arrache les cheveux à ce sujet pour les questions de droit à l’image ! Bien sûr nous avons des testeurs anonymes, mais nous n’assistons pas en direct aux séances d’essayage ! »

Adultère ou pas?

Selon vous, avoir des relations sexuelles avec un sexbot, est-ce tromper?

Les Français, eux, ont déjà répondu.

Selon un sondage du Huffington Post mené en partenariat avec la compagnie d’études de marché YouGov, pour 31 % des interrogés, coucher avec un robot ne serait pas considéré comme un adultère.

Le plus : moins de trafic humain, moins de MST (les robots seraient autonettoyants) et moins de conflits conjugaux ! La sexdoll ou sa version améliorée, le sexbot, est par définition toujours disponible, donc les excuses type migraine ou panne d’érection, n’ont pas lieu d’être. Les antisociaux ainsi que les angoissés souffrant d’une anxiété de performance, y trouveront leur compte.

Le moins : une clientèle majoritairement masculine (malgré l’existence de poupées destinées aux femmes) avec plus d’un tiers des usagers se plaignant de dysfonctions sexuelles diverses, comme une difficulté érectile ou une éjaculation rapide. Sans oublier le manque d’échange émotionnel en compagnie d’un/e partenaire incapable de comprendre la subtilité des besoins psychosexuels d’un instant t bien précis malgré la richesse de son programme ! Enfin, l’impossibilité de ressentir la gratification du plaisir sincère et vrai donné à l’autre, une machine ne pouvant que trop bien simuler !

Verdict : Sexualité version 3.0 pour les uns, 0.5 pour d’autres : expérience ultime pour certains, summum du glauque pour d’autres… En bref, une version améliorée d’une sexualité solitaire et auto-masturbatoire avec tous les écueils de la technologie : risque de bugs, de virus informatique,  de panne énergétique en plein acte ! Une pratique qui reste pour le moment très marginale, ne représentant guère plus d’un pour cent de la population totale des Etats-Unis selon une étude statistique d’un site internet américain réservé aux usagers de ce genre de poupées hightechs.

 

Cap vers un monde meilleur ou le « meilleur des mondes » ? 

Il est vrai que nous vivons une époque où tout va plus vite, où tout le monde est « online », constamment scotché à des appareils mobiles, où le virtuel voire l’artificiel ont une tendance grandissante à envahir nos vies. Même les émotions semblent devenir de plus en plus factices.

Les distances se réduisent du fait des progrès technologiques et tout, même le sexe, est à la portée d’un clic !

Somme-nous alors en train de nous diriger vers une sexualité exclusivement connectée, et complètement déconnectée de la réalité et de l’autre ? Cela est peu probable. Ce n’est pas la commercialisation d’un produit qui entraine inéluctablement son utilisation. La banalisation du sextoy ne fait pas son usage et ce qui n’est pas anormal ne constitue pas pour autant une norme. Rappelons ainsi que le brevet du premier vibromasseur à pile a été déposé en 1907 et que seuls 30 %3 des ressortissants européens reconnaissent en posséder un et moins de 15 % avouent l’utiliser régulièrement.

3Enquete Durex 2004

D’ailleurs, les traitements et médicaments en cours de développement et même récemment commercialisés (le Fibanserin fera son apparition sur le marché en Octobre) ont notamment pour but le renforcement du désir féminin, qui est de plain-pied non seulement dans le réel mais dans le relationnel. Et aux vues des sommes investies, les laboratoires pharmaceutiques semblent clairement miser sur la sexualité « à l’ancienne » ! De plus, la majorité des patients consultant pour des difficultés sexuelles se plaignent de la froideur  de leur partenaire, du coté mécanique de l’acte sexuel, du manque de sentiments, de tendresse, de sensualité, de ludisme et de réciprocité… en d’autres termes, de la robotisation de leur échange !

Il faut donc prendre le progrès technologique pour ce qu’il est : un facilitateur d’existence. Reste que cette existence vaut sans doute le coup d’être pleinement vécue. Non ?