Baby on board
La grossesse se trouve être le moment idéal pour envisager la sexualité au sein du couple sous un jour nouveau. En dehors de toute relation à la procréation, elle peut devenir une formidable expérience pour les futurs parents, soit de renforcement de leur complicité sexuelle, soit de découverte réciproque. Dans l’attente de l’heureux évènement, on a trop longtemps considéré la sexualité comme un sujet tabou, n’ayant pour seul enjeu que désir et plaisir. À cela s’ajoutent un certain nombre d’obstacles culturels, sociaux ou familiaux, comme autant de barrières face à l’épanouissement sexuel des parents en devenir. Il est d’autant plus regrettable de constater qu’en dehors d’éventuelles complications – en présence desquelles les rapports sexuels peuvent s’avérer contre-indiqués – les craintes liées à la sexualité durant la grossesse sont parfois entretenues par les professionnels de la santé eux-mêmes. Que l’on considère cette période comme une phase d’épanouissement, de découverte, ou qu’elle soit même l’occasion de résoudre des difficultés passées, il faut s’attacher à accompagner les femmes dans cette acceptation de l’idée d’une sexualité « autre » durant la grossesse, tout en faisant comprendre aux hommes que se préparer à être père n’empêche aucunement de rester un amant.
La sexualité évolue au cours des quatre phases successives de la grossesse:
1/ de la conception à 2 mois et demi :
Les importantes modifications physiques et psychiques intervenant lors de cette période initiale de 12 semaines peuvent entraîner des difficultés au plan sexuel. Outre les changements corporels ainsi que les éventuels inconvénients liés à l’état de grossesse (nausées voire vomissements, hypersomnie et modifications du goût et de l’odorat), la baisse du désir chez la femme est caractéristique de cette première période. Tout ces éléments conjugués conduisent à une baisse d’en moyenne 20% des rapports.
Surtout s’il s’agit de sa première grossesse, la femme se trouvant alors dans une situation inédite, elle est souvent en position de recherche de protection dans laquelle la séduction n’est pas la première de ses priorités. Ce recentrage affectif de la femme, qui a pour corollaire une sorte de voyage à rebours vers sa propre enfance, n’est pas forcément propice à des rapports sexuels fréquents et harmonieux.
Ainsi, beaucoup de facteurs psychologiques peuvent perturber les futurs parents qui ont peur de leur future responsabilité de parents et peur d’une fausse couche qu’ils imputent faussement aux rapports sexuels.
2/ De deux mois et demi au début du huitième mois :
C’est la période d’embellie pour le couple au plan sexuel. Les petits inconvénients liés à l’état de grossesse ont disparu, les rondeurs apparaissent mais n’entravent aucunement la femme dans ses mouvements, et constituent l’un des éléments déclenchant du désir, dont le retour est caractéristique de cette seconde étape. La femme a retrouvé son énergie et s’est adaptée à son nouvel état, cette acceptation de la grossesse la mène à aimer ses nouvelles formes, à les montrer sans complexes et donc à accepter et aimer son nouveau corps, objet de transformations continues. De plus, la vaso-congestion pelvienne favorise excitation et plaisir, et l’imprégnation hormonale donne une tonalité euphorique. La future mère est donc plus disponible et mieux dans sa peau, a retrouvé sa confiance en soi et est radieuse sous les regards de son conjoint…éléments propices pour une bonne entente sexuelle.
C’est véritablement à ce stade que peut se mettre en place une véritable complicité sexuelle épanouissante pour les futurs parents rassurés que la grossesse se déroule bien. La communication et le partage sont à leur apogée entre préparatifs et planification, le couple s’isole un peu du monde extérieur dans un petit cocon ce qui lui permet de se recentrer sur son intimité.
Ce rapprochement, couplé à la joie commune de se préparer à être parents, favorisent un climat ludique et détendu et renforcent la « sécurité affective » du couple, qui est un élément essentiel du désir chez la femme. Ceci enrichit et améliore la qualité des rapports sexuels et du coup cristallise l’ambiance de détente et de joie…
3/ Le huitième mois :
Le désir qui est réapparu lors de la précédente période se maintient dans la majorité des cas. Une différence notable peut cependant intervenir, se manifestant par des « pics » au cours desquels la fréquence des rapports peut considérablement augmenter dans une recherche de la détente orgastique pour contrer les coups de stress à l’approche de l’arrivée de l’enfant, ou au contraire se réduire, jusqu’à disparaître pour un temps pour permettre au couple de finaliser ensemble les derniers préparatifs.
Evidemment, d’éventuelles complications à ce stade peut venir modifier ce schéma théorique, mais dans l’ensemble, la complicité et l’affection, encore renforcés, permettent une sexualité harmonieuse et épanouie.
Il ne faut cependant pas omettre de noter que les modifications corporelles chez la femme sont désormais un obstacle non négligeable. Les futurs parents doivent s’adapter à ces changements importants, mais une approche ludique de la chose permet souvent de contourner ces petits désagréments.
C’est du côté masculin qu’une baisse du désir intervient généralement. Parfois, la nouvelle physionomie de leur partenaire les bloque, certains redoutent de heurter le fœtus ou la mère, d’autres se sentent exclus ou en compétition avec le petit être à venir. Une fois de plus, c’est aux professionnels de la santé de les rassurer en les conseillant sur les pratiques appropriées.
4/ Le neuvième mois.
Le futur schéma familial se met en place, emportant son lot d’enthousiasme, d’impatience, mais aussi parfois de tensions ! Durant cette « dernière ligne droite », de nombreux questionnements émergent au sein du couple, et la sexualité peut s’en trouver affectée.
Le ventre est désormais très imposant, mais n’affecte pas nécessairement la régularité des rapports, dont la fréquence baisse malgré tout. En effet, la prise poids chez la femme entraîne fatigabilité, insomnie et difficultés respiratoires diminuant beaucoup la disponibilité et le désir de la femme.
Il faut s’adapter aux contraintes physiques en ayant recours à des positions moins habituelles pour certaines femmes, pour lesquels l’homme devra nécessairement se trouver derrière ou sur le côté ce qui peut mal à l’aise certaines personnes plus conformistes. Le dialogue avec le partenaire peut là encore s’avérer salvateur !
De plus, psychologiquement, le couple peut avoir un vécu très négatif des modifications corporelles, vergetures, déformation et dégradation peuvent bloquer le partenaire et même dégoûter la femme de son propre corps. La peur de rester abîmée physiquement de façon durable peut angoisser cette dernière. A ceci, se rajoutent l’angoisse de l’accouchement, de la douleur, de la péridurale, et la peur d’un accouchement prématuré ou de complications…et l’on sait bien qu’anxiété et stress inhibent le désir sexuel et détruisent la détente propice aux rencontres harmonieuses. Le partenaire de son côté, a de plus en plus peur de faire du mal à l’enfant lors des relations sexuelles et peut même percevoir le fœtus comme un intrus ou avoir du mal à percevoir la future mère comme une amante…
Ce dernier mois est donc une longue et dure épreuve pour le couple, mais la communication, la compréhension et surtout la tendresse pour calmer le désarroi, permettent souvent de limiter les dégâts et de conserver une bonne ambiance. Ainsi, lorsque l’harmonie sexuelle persiste, la douceur et l’affection sont beaucoup plus marquées lors des rapports.
Et les risques alors ?
C’est dans ce domaine que circulent le plus grand nombre d’idées reçues qui s’avèrent être le plus souvent fausses. A titre d’exemple, il est tout à fait erroné d’imputer à la persistance des rapports sexuels les fausses couches du premier trimestre de la grossesse. De la même façon, l’orgasme ne peut que très exceptionnellement provoquer des contractions utérines préjudiciables lors du premier et du second trimestre de la grossesse.
Cependant, toute pénétration reste hautement contre-indiquée dans de nombreux cas de complications, ou en présence d’une maladie sexuellement transmissible avérée chez l’homme. La plus grande prudence est évidemment de mise dans cette hypothèse, et il conviendra alors de suivre l’avis de l’obstétricien.
On peut conclure en affirmant que le maintien d’une sexualité active et harmonieuse durant la grossesse contribue à renforcer encore les liens entre les parents en devenir, en étant source de plaisir bien évidemment, mais également de sécurité et d’équilibre. Parmi de nombreuses modifications psychologiques, la future maman est en quête de sécurité affective, tandis que l’homme se fait doucement à l’idée qu’il va passer du « statut » d’amant à celui de père. Sans pour autant rechercher le plaisir à tout prix, la sexualité durant la grossesse peut être vue comme une phase de préparation et d’harmonie dans le couple, une fusion entre deux êtres débouchant sur l’arrivée d’un troisième, l’enfant.
Et après la naissance?
Si une vie sexuelle non contraignante, tout en douceur et en tendresse, est maintenue jusqu’à la fin de la grossesse, le couple a plus de chances de se retrouver après la naissance.
Cependant les jeunes mamans doivent s’accorder du temps et ne pas précipiter les choses. Une première mauvaise expérience peut entraver le bon déroulement de la reprise d’une sexualité épanouie.
Dans les jours et semaines qui suivent la naissance, la jeune mère est focalisée sur son bébé. Son partenaire joue évidemment un rôle important mais souvent plus sous son statut de père que d’amant. Le réintroduire dans une intimité et lui faire une place différente, privilégiée, en dehors de l’enfant est nécessaire sans pour autant forcer les choses.
La vie érotique dans un couple ne doit pas être un devoir. Se permettre des escapades, de petites promenades, laisser de la place aux massages, aux caresses, aux petits jeux, au partage, à la douceur sans se sentir obligé d’aller plus loin est conseillé. En d’autres termes, voler quelques instants au bébé pour se retrouver soi-même et créer par ces moments d’intimité un espace propre au couple qui prépare lentement mais sûrement la reprise d’une sexualité complète quand la femme s’y sentira prête physiquement et psychiquement dans un climat d’entente et de respect de l’autre.
La sexualité peut reprendre dès que le couple le désire et dès que toute la région aura retrouvé un aspect normal : le col bien fermé, disparition des lochies (écoulements séro-sanglants après l’accouchement), disparition des douleurs et bonne cicatrisation de l’épisiotomie (5à15j) ou de lésions vaginales éventuelles. La période est variable d’une femme à l’autre, la moyenne est d’un mois environ.
Il ne faut surtout pas oublier d’utiliser une contraception, en effet une nouvelle grossesse est possible avant le retour des règles même si la femme allaite.
A ce stade, la lubrification est parfois moins intense et plus longue à se produire, le recours aux lubrifiants est recommandé et n’est pas anormal. Si l’allaitement dérange la sexualité, le conjoint ne devrait pas installer une rivalité entre l’enfant et le père, mais substituer momentanément cette zone érotique par une autre et la récupérer plus tard…
Le vagin même s’il a été distendu pendant l’accouchement, reprend vite sa forme et son élasticité. La rééducation périnéale renforcera la musculature autour du vagin.
Statistiquement, la sexualité reprend pour la majorité des couples sept semaines après l’accouchement.
Pourquoi certains tardent à reprendre ?
La fatigue et le besoin de sommeil inhibent le désir sexuel et laissent les partenaires moins disponibles. La prise de poids résiduelle dégoûte parfois la femme d’elle-même refusant ce nouvel aspect physique d’elle-même, ne se percevant pas désirable et rejetant tout contact érotique. Un régime diététique adapté est conseillé, mais en attendant la perte de poids, être aimée et désirée améliore l’image de soi, alors pourquoi s’en priver ?
A cela s’ajoutent les douleurs périnéales liées à la cicatrisation de l’épisiotomie. Cet endroit peut rester douloureux, car les femmes se contractent de peur de la douleur ou du fait d’une mauvaise cicatrisation, dans ces cas-là il faut consulter un médecin. Certaines positions qui sollicitent moins cette zone peuvent être conseillées : la femme est sur son partenaire, l’homme et la femme sont côte à côte. N’oublions pas la peur de réveiller l’enfant, la culpabilité de le déranger, ou encore sa présence (réelle dans la chambre ou inconsciente) qui entrave l’intimité. De plus, le changement de « statut » au sein du couple peut perturber l’un ou l’autre des partenaires qui ne retrouve pas à sa place d’amant dans le nouveau couple parental et n’arrivent pas à superposer vie conjugale avec vie familiale.
Si les difficultés persistent, peut être étaient-elles déjà latentes avant la naissance. Dans ce cas le couple, s’il en éprouve le besoin, peut consulter un sexologue. S’il n’en n’a pas le courage, l’on conseille vivement aux femmes de se laisser le temps de renouer avec leur corps et d’éprouver du désir sans laisser les non-dits creuser un gouffre dans le couple. Le dialogue est le remède à bien des maux.
Dr. Sandrine Atallah