L’hymen, voile de la chasteté ou de l’hypocrisie?
Si en occident, et à quelques rares exceptions près, la virginité prénuptiale n’effleure même pas l’esprit des futurs conjoints, dans nos contrées en revanche, la question est autrement plus sensible. En effet, qu’elles soient chrétiennes, musulmanes ou autre, de nombreuses femmes du Moyen-Orient se retrouvent confrontées à une obligation d’« hymen saignant à point » lors de la nuit des noces… Et pour cela, tous les moyens sont bons, quitte à remplir les poches des gynécologues ou à emprunter les portes dérobées…
La virginité, conception largement éculée voire rétrograde en occident, est toujours un sujet d’actualité dans la plupart des milieux orientaux traditionnels. Ce prérequis (qui en plus ne s’applique qu’aux femmes et non aux hommes célibataires qui eux n’ont de cesse de se vanter de leurs exploits sexuels !) nous laisse bien perplexe… En effet, si les hommes de ces sociétés sont actifs sexuellement, et les femmes vierges préalablement au mariage, il manque nécessairement un membre à notre équation !
Mais pour mieux appréhender tous les éléments de notre problématique actuelle, essayons de délimiter les contours du concept de virginité au 21e siècle.
Un hymen faussement sacralisé
D’après le petit Larousse, la virginité est l’état d’une personne qui n’a jamais eu de relations sexuelles.
L’hymen, quant à lui, est une membrane plus ou moins épaisse et souple, formant un diaphragme entre le vagin et la vulve. Il est perforé d’un orifice qui permet au sang menstruel de s’écouler. Il n’a aucune utilité physiologique réelle et peut même être absent à la naissance.
Au cours du premier rapport sexuel, l’orifice hyménal est élargi par des déchirures plus ou moins importantes qui peuvent provoquer des saignements. Mais ces déchirures peuvent tout aussi bien survenir durant l’enfance, à la suite d’une chute ou d’autres activités physiques usuelles, comme faire de la bicyclette, de la gymnastique ou de l’équitation ; ou durant l’âge adulte du fait de l’utilisation maladroite d’un tampon hygiénique, etc…
Par ailleurs, certains hymens, qui sont dits complaisants, permettent la pénétration sans déchirures ni saignements, du fait de leur élasticité. D’autres sont scléreux et épais, rendant la pénétration extrêmement douloureuse voir impossible.
La défloration (ou dépucelage) désigne donc le premier rapport sexuel pénétrant de la verge dans le vagin, entraînant généralement la déchirure de l’hymen. Ce dernier, une fois défloré, persiste en tant que lambeaux tout autour de l’orifice vaginal.
L’on déduit de ces définitions et descriptions anatomiques, que la présence ou l’absence de l’hymen ne prouve en aucune façon l’absence de rapports sexuels vaginaux préalables au premier acte. Et par suite ne prouve rien non plus quant à la soi-disant pureté et innocence de la femme non mariée… Malheureusement, virginité et hymen sont abusivement confondus, puisqu’une femme peut tout à fait avoir été sexuellement active tout en préservant son hymen, notamment en cas de pénétration anale ou de pratiques bucco-génitales. Ainsi, hymen intact et chasteté sont loin d’être synonymes. Les conservateurs de tout poil peuvent penser ce qu’ils veulent, ces pratiques existent et sont largement répandues.
« La présence ou l’absence de l’hymen ne prouve en aucune façon l’absence de rapports sexuels vaginaux préalables »
Une définition controversée
Si au moyen orient, virginité rime avec hymen, le concept de virginité en occident résulte d’un mélange, voire d’un amalgame de critères paradoxaux et subjectifs. Les conservateurs américains parlent plutôt d’une virginité émotionnelle non liée à l’acte proprement dit. Ainsi, l’on peut avoir été sexuellement actif (ou active) par le passé, le regretter (ou pas), et s’abstenir à nouveau dans une nouvelle « virginité ». En d’autres termes, abstinence, chasteté et virginité convergent plus ou moins vers une même échelle de valeurs, valeurs personnelles, choisies et soi-disant non religieuses.
Cependant, si certaines églises occidentales ont réussi à convaincre leurs ouailles du choix éclairé et assumé de la chasteté à l’aide d’un subterfuge moral, la femme orientale n’a souvent d’autre choix que de falsifier sa virginité.
« En fait, ma plus grande erreur fut de ne pas lui avouer le tout au début de notre rencontre. Mais je courais un risque en étant franche car c’est un proche de la famille. S’il leur avait répété que je n’étais plus vierge, il m’aurait ruiné ma réputation. En clair, je risquais de passer pour une pute », raconte Rana, 21 ans, étudiante à Beyrouth, originaire de la Bekaa. « Passer pour une pute » est la hantise de nombreuses jeunes femmes libanaises, qui ont perdu leur virginité avant d’être mariée. « J’ai des copines qui ont 20, 21 ou 22 ans. Quand elles disent la vérité, la relation ne va pas loin ou souvent continue sur de mauvaises bases, les hommes les utilisent comme des objets sexuels et une fois repus les quittent en expliquant à leurs potes que ce sont des filles faciles… », explique Rana. Sur les conseils d’une amie, elle consulte un gynécologue afin de faire une hyménoplastie : « J’ai donné des cours particuliers afin de pouvoir payer l’intervention. Pour moi cette opération était une évidence surtout que ma famille prépare en grande pompe nos fiançailles. Dans tous les cas, je sais que mon petit ami renoncerait au mariage s’il apprenait la vérité. Je lui ai demandé ce qu’il pensait de ces filles qui se faisaient opérées pour repartir sur de bonnes bases avec leur copain. Il m’a répondu sans hésitation que c’étaient des salopes », raconte-t-elle la rage au ventre, devant cette injustice qu’elle ne peut crier, de peur de confirmer les soupçons de son ami et de provoquer un scandale familial.
« La femme orientale n’a souvent d’autre choix que de falsifier sa virginité. »
Une virginité à prouver
Quand elle ne se marie plus à seize ans et qu’elle suit des études universitaires dans les grandes villes, il est parfois difficile pour ces jeunes femme de résister aux tentations de la chair ou aux pressions du petit ami qui, comble de l’hypocrisie, ne l’épousera sans doute pas par la suite puisqu’elle a perdu sa virginité… avec lui ! On marche véritablement sur la tête !
Déflorées par amour, par contrainte morale, ou même parfois accidentellement, si certaines ont la possibilité d’avouer en confiance leur passé au fiancé et de démarrer leur vie maritale sur les bases solides de la franchise et du partage, nombreuses sont celles qui n’ont d’autre issue que le mensonge. Ces femmes écartelées entre leur épanouissement dans un monde sexualisé à outrance et leur respects des traditions, optent bon gré mal gré pour la chirurgie, dans le but d’éviter la mort sociale qui plane au-dessus de leur tête comme une épée de Damoclès moralisatrice. Ayant en tête tant de mariages annulés, de jeunes femmes répudiées et de scandales familiaux du fait même d’un hymen manquant à l’appel, cette solution pourtant si hypocrite leur semble être leur seule planche de salut.
Nous ne voilons pas la face : les rapports prénuptiaux ne sont pas un phénomène nouveau comme certains voudraient nous le faire croire en arguant d’un poncif pointant du doigt la « dépravation occidentale ». Même les anciens avaient leurs recettes et remèdes afin de masquer la « faute de l’impure » et déclencher un saignement lors de la fameuse pénétration nuptiale. Des produits corrosifs tels que l’écorce de grenadine ou l’alun étaient préparés en décoction et appliqués avec de la laine de mouton au niveau du vagin ! Cette préparation asséchait tellement les muqueuses et induisait une irritation si intense que l’intromission de la verge provoquait nécessairement un saignement…
De nos jours, même si l’idée de gruger son mari afin de sauver son mariage reste la même, les moyens utilisés sont moins dangereux mais aussi plus coûteux.
Mona, jeune femme de 25 ans, en couple depuis deux ans, a décidé de faire une hyménoplastie, avec le soutien de son futur mari. Pour elle, c’était la solution idéale « pour que tout le monde ait ce qu’il veut » : « La virginité est une valeur primordiale dans mon milieu d’origine. Perdre sa virginité c’est mettre sa vie et son avenir en péril, la vertu d’une femme se résumant à ce bout de membrane. Cette importance de l’hymen, on me l’a inculquée. Attachée à la tradition, j’ai quand même perdu ma pureté par amour pour mon fiancé, l’homme de ma vie. Ma mère m’a longuement fait comprendre qu’elle mourrait si elle apprenait que je n’étais pas vierge, j’ai donc cédé à la menace et au chantage affectif, ne voulant pas lui briser le cœur et la décevoir. J’ai pensé à plusieurs astuces pour “réparer” mon erreur. Soit je prenais un appart’ et quittais le cocon familial en tirant un trait sur ma famille et revenais plus tard comme les autres qui ont “gaffé”, soit j’assumais et c’était le scandale assuré. A un moment, j’ai pensé à ce que mon fiancé vienne demander ma main. Je me suis dite que ça résoudrait le problème. Mais je n’avais pas envie qu’on se marie dans la honte et le péché. Ça aurait été un mariage triste. Avec mon fiancé, on a décidé que j’allais faire une hyménoplastie. S’y résoudre fut un choix difficile, je me suis posée pas mal de questions sur moi, sur ma famille, sur cette membrane. Je n’aurais jamais imaginé me retrouver dans cette situation… Mon fiancé m’a accompagnée le jour J. Seule, je doute que j’aurais eu le courage de le faire. Je vais bientôt obtenir un certificat de virginité, histoire d’avoir un papier officiel et d’avoir la paix. En faisant l’opération, j’ai l’impression d’avoir trouvé le moyen idéal pour que tout le monde ait ce qu’il veut. Je ne regrette rien. Je voulais donner ma virginité à l’homme de ma vie, et c’est ce que j’ai fait. Mon chéri, lui, regrette un peu car il va devoir patienter ! Il me taquine parfois en rigolant et me dit : « J’ai payé pour m’abstenir ! » (rires). Ce qui m’aide et ce qui me permet d’être aussi sereine, c’est que je n’ai rien à me reprocher. Fonder une relation sur un mensonge, c’est foncer tout droit dans le mur ! Moi, je n’ai pas couché à droite à gauche pour me faire opérer et imposer un mensonge – ce que je trouve lâche et égoïste. Et si demain j’avais une grosse engueulade avec mon fiancé et que mon mariage était annulé, je dirais à mon nouvel ami que j’ai fait une hyménoplastie et pourquoi je l’ai faite. En tout cas, je n’inculquerai pas toutes les valeurs qu’on m’a transmises à mes filles. Je leur parlerai de contraception et de maladies sexuellement transmissibles en leur conseillant de ne se donner que par amour. »
La chirurgie réparatrice de l’hymen, la voie du salut
Répertoriée parmi les chirurgies plastiques, la chirurgie réparatrice de l’hymen est un acte médical simple et anodin, qui est de plus en plus facturé à la tête du client… Abus de la médecine peut-être, comme beaucoup de chirurgies esthétiques, cette intervention est de plus en plus en vogue dans le bassin méditerranéen… Elle permet la reconstruction naturelle de l’hymen sans traces visibles. « Il existe deux techniques différentes, explique le Docteur Malek Nassar, gynécologue : l’hymenorraphie et l’hymenoplastie. La première est une réfection de l’hymen à l’aide de fil résorbable qui encercle l’hymen et sur lequel on tire. Mais elle est provisoire et doit être faite quelques jours avant le jour J selon le type de fils utilisés. L’autre opération consiste à placer une greffe de peau à la place de l’hymen déchiré, sorte d’hymen artificiel. Elle est durable et doit être pratiquée bien avant la nuit de noces. »
Le Dr. Nassar reste cependant relativement prudent quant à ces pratiques, notamment quand il est question de certificat de virginité. Ainsi nous explique-t-il qu’accéder à une telle requête constituait « une violation du respect de la personnalité et de l’intimité de la jeune femme, notamment mineure, contrainte par son entourage à s’y soumettre ». Néanmoins, arguant du fait qu’il s’agit de protéger des personnes en danger, des médecins acceptent de délivrer des certificats de virginité. « Mais dans un souci de déontologie, je ne certifie pas que la jeune femme est vierge, mais qu’aucun élément ne me permet de dire qu’elle ne l’est pas », continue le Dr. Nassar.
Le soulagement de Rana fut pourtant de courte durée. « J’ai perdu un fil au bout d’une semaine. J’étais terrorisée à l’idée d’un échec de l’intervention. Vous comprenez, j’y ai mis tout mon argent et mon sort en dépend » lance-t-elle avec inquiétude. Et d’ajouter, avec une pointe d’amertume : « C’est un bon business. C’est le chirurgien qui accepte le premier qui rafle la mise car la malheureuse concernée est trop désespérée pour attendre et comparer les prix ». Un « business » que certains gynécologues dénoncent vigoureusement. Rana a ainsi investi le maximum, mais elle craint toujours que son opération ne donne pas le change. Très angoissée, elle dresse cet amer constat : « Avant, je me disais que j’allais être tranquille, mais maintenant je me dis que je suis dans une situation pire que celle de départ ».
Par ailleurs, si parmi celles qui ont recours à ce genre de simulacre, certaines sont vraiment en situation de détresse, menacées par leur famille ou en quête d’une réparation suite à un viol, d’autres trouvent plus simple de jouer à la « sainte n’y touche » que de devoir justifier leur passé. Certains gynécologues beyrouthins ont de très bonnes « clientes », qui reviennent les voir plusieurs fois avant leur jour J !
« Paradoxalement, les hommes concernés sont tout à fait au courant de telles pratiques, mais préfèrent vivre dans le fantasme de l’épouse pure et innocente qui ne connaîtra qu’eux… »
Nombre d’entre eux témoignent d’une demande en hausse de la part d’une clientèle chrétienne comme musulmane, ayant goûté à tous les plaisirs « branchés » de la capitale et qui souhaite « se racheter une conduite » pour une vie bien rangée avec un époux à tendance macho-conservatrice, qui recherche une vierge à épouser. Paradoxalement, les hommes concernés sont tout à fait au courant de telles pratiques, mais préfèrent vivre dans le fantasme de l’épouse pure et innocente qui ne connaîtra qu’eux… Le film franco-libanais « Caramel », qui a récemment obtenu un grand succès international, illustre bien nos propos et décrit finement les mentalités contradictoires tiraillant les jeunes libanaises.
En ayant recours au bistouri magique deux, voire trois fois avant leur mariage, n’atteignons nous pas le comble de l’hypocrisie ? Peut-être pouvons-nous en conclure que finalement ces maris tyranniques et égoïstes méritent leurs épouses malhonnêtes…
Nous vivons de plus en plus dans une société moyen-orientale où tout se joue sur l’apparence et où l’on a de plus en plus de mal à discerner l’original de l’artifice…Tout passe sous les mains expertes des plasticiens, des nez aquilins aux lèvres pulpeuses et des seins siliconés aux hymens « rénovés ».
Cependant, insistons sur le fait que pour certaines il s’agit d’une question de vie ou de mort. « Il y a une réelle détresse, nous rappelle le Dr. Nassar. Certaines jeunes femmes sont répudiées ou assassinées par leur frère. Il y a une telle angoisse, une telle obsession et une telle hantise qu’elles n’autorisent que de courtes pénétrations pour garder un hymen intact. Certaines de mes patientes avouent qu’elles devaient forcément avoir recours à la sodomie ».
La sodomie, la deuxième issue de secours
Ainsi, celles qui désirent préserver leur hymen sans avoir recours à la chirurgie, mais sans perdre leur amoureux du moment, en viennent parfois à adopter des comportements sexuels alternatifs (sodomie, fellation, etc…) et souvent même à les proposer… Il est curieux de constater combien la sodomie est une chose courante dans nos sociétés « conservatrices », tandis qu’elle ne conserve qu’une place assez particulière et marginale pour les couples occidentaux. Par ailleurs, si le coït anal préserve une certaine virginité vaginale, il présente un haut risque de transmission d’IST (infections sexuellement transmissibles), d’autant que l’usage du préservatif est loin de s’être généralisé dans nos contrées.
« Ni-Putes Ni-soumises » ???
Difficile de discerner entre les victimes des sociétés paradoxales, déchirées entre traditions et modernisme, et les actrices consentantes de ce jeu de dupe basé sur les apparences trompeuses et factices… Mais pour jouer, il faut être deux… si les hommes orientaux étaient fair-play, les femmes ne le seraient-elles pas également ?
Il ne s’agit pas ici d’amorcer un débat sociétal, sexiste voire féministe, religieux ou moral sur le sujet. Force est cependant de constater que sous les apprêts d’une société relativement ouverte d’esprit et égalitaire, transparaît en filigrane un nombre incalculable de barrières, de frontières invisibles, et de passages obligées ayant trait à la sexualité, dont on fait semblant de se départir tout en continuant à les appliquer, voire à les subir…
Dr. Sandrine Atallah