Mariages non consommés
Le mariage non consommé, c’est-à-dire l’absence totale de coit vaginal entre époux pour cause d’impossibilité ou d’incapacité, est paradoxalement très souvent un mariage d’amour au sein duquel la fidélité est de mise. D’autres formes de plaisir érogène y trouvent leur place dans la grande majorité des cas. Mais quand bien même, un « hic » de taille finit toujours par investir la chambre de nos époux car… ils sont infertiles ! Dès lors, La menace plane : l’exception au caractère indissoluble des liens du mariage, pouvant aboutir à son annulation du point de vue religieux et juridique. Les couples concernés rompent alors le silence après des années, voire même des décennies d’union…
Sous le sceau du secret
Si dans nos sociétés, l’évocation de la sexualité avant le mariage reste tabou, « l’inverse », c’est-à-dire l’idée d’un couple marié respectant une stricte chasteté, l’est tout autant. Et pourtant, les ravages du mariage non consommé sont bien plus étendus qu’on ne le pense. On parle de « non-consommation de mariage » lorsque aucune relation sexuelle avec pénétration n’a eu lieu au bout de six mois de vie commune. En fait, la problématique posée par ces unions platoniques est double. Tout d’abord, parce que d’un point de vue juridique et religieux, la relation sexuelle est un devoir conjugal. En second lieu, d’un point de vue social et familial, un couple marié se doit de procréer. Et ce n’est que pour cette dernière raison que les couples concernés brisent le sceau du secret et sortent de l’ombre en consultant (trop) tardivement. En effet ces couples, en général très unis, ne franchissent la porte du cabinet du spécialiste que quand le désir d’enfant se fait jour et que les horloges biologiques commencent à tourner dangereusement, c’est-à-dire environ 2 à 10 ans après leur nuit de noces. Il est important de noter que ces couples optent en général pour une vie sexuelle substitutive et satisfaisante, voire parfois même épanouie, à base de caresses et de masturbation réciproque, et qui leur convient tout à fait tant que la « nécessité » de procréer n’entre pas en ligne de compte.
‘L’on parle de non consommation de mariage lorsque aucune relation sexuelle avec pénétration n’a eu lieu au bout de six mois de vie commune.’
Elie et Cynthia viennent consulter après quatre ans de mariage non consommé. Cynthia est une enseignante de trente-deux ans, cultivée et brillante, dont les yeux pétillent d’intelligence derrière ses lunettes. Elie, quant à lui, est le mari attentionné par excellence : Prévenant, aux petits soins avec sa femme, ne la quittant pas des yeux tout au long de l’entretien. Il est expert comptable âgé de trente-six ans. C’est Cynthia qui prend la parole : « c’est le gynécologue de ma mère qui nous envoie. Cela fait plus de 7 ans que nous sommes mariés sans jamais avoir eu de rapports sexuels. Nous nous entendons merveilleusement et au départ cela ne nous posait pas de gros problèmes, on se disait que nous avions le temps et que si ce n’est pas cette fois, ça sera la prochaine, et ainsi de suite. Mais maintenant que nous voulons fonder une famille, cela est devenu un obstacle réellement handicapant pour notre avenir… On n’avait jamais osé en parler mais nous n’y arrivons pas de nous-mêmes, pourtant on essaye presque tous les jours… »
Les deux naïfs, un couple inachevé.
Le cas anecdotique de cette « première fois », c’est la rencontre, souvent idéalisée, de deux âmes pures et naïves qui ne connaissent encore rien de leurs corps.
Eternel débat entre l’inné et l’acquis, qui tourne dans ce cas précis, au net avantage de l’expérience acquise. Car si la sexualité est pour tous et par essence, naturelle, elle n’est en définitive pas spontanément réalisable. Ainsi, la vie sexuelle, bien que biologiquement déterminée, ne se réalise pleinement que dans le « bain culturel » de la relation à l’autre et dans l’accès à la dimension érotique, vraie dimension humaine de la sexualité. L’érotisme en question ne peut se développer qu’au travers de l’épanouissement harmonieux de la sensorialité et de la vie relationnelle. C’est cet échange empirique qui permet la maturation des comportements sexuels.
Ainsi, dans le cas de notre jeune couple, la timidité d’Elie et le « respect » qu’il a pour son épouse n’ont pu vaincre le vaginisme de Cynthia, entretenu par la peur d’avoir un rapport complet.
« J’ai peur de ne pas savoir faire, de lui faire mal, avoue Elie. Elle est tellement crispée quand elle sent que je vais essayer de la pénétrer que j’en perds mon érection. Elle a pourtant beaucoup de plaisir quand je la caresse, tant que je ne m’approche pas de l’entrée de son vagin. Je sais qu’elle culpabilise à propos de notre échec, je ne veux pas lui mettre la pression, elle est tellement sensible…On s’est rencontré assez jeunes et je n’ai pas eu l’occasion de connaître d’autres femmes. Je suis terrorisé à l’idée de lui nuire par mon ignorance… »
Il nous apparaît alors évident qu’une bonne part d’inhibition et de timidité mêlée à de la maladresse ainsi qu’à une profonde inexpérience ont pour conséquence l’impossibilité de réaliser l’acte amoureux. Ce qui serait une hérésie si la sexualité était seulement naturelle…
‘Une bonne part de timidité mêlée à une profonde inexpérience ont pour conséquence l’impossibilité de réaliser l’acte amoureux’
« Enfant unique, j’ai grandi en milieu rural dans une famille d’agriculteurs de la Beqaa », nous confie Wafa, 26 ans, vendeuse dans un magasin de sport. « Mon père, grand travailleur, était cependant doté d’un caractère effacé et laissait à ma mère le soin de régenter la maisonnée et de s’occuper de moi. Elle était extrêmement religieuse, et il n’était pas question de parler de sexualité à la maison, le sujet étant considéré comme déplacé et honteux. D’ailleurs on ne parlait pratiquement pas d’autre chose que du temps qu’il fait et du travail à réaliser. La conversation était ainsi réduite au strict minimum. Pendant les vacances, je passais beaucoup de temps à observer les animaux de la ferme, qui eux ne cachaient pas de leurs besoins reproductifs ! L’acte copulatif me paraissait sauvage et brutal, le sexe du male énorme, j’étais convaincue que les hommes se comportaient de la même façon. Jusqu’à quatorze ans, j’avais peur de m’asseoir terrorisée à l’idée d’une pénétration accidentelle par un objet quelconque. Nous nous sommes mariés Tarek et moi en 2002, je venais d’avoir 20 ans. Il n’a jamais réussi à « m’ouvrir » (ndla : traduit de l’arabe). Les deux premières années, j’étais prise d’une peur panique à chaque fois qu’il m’approchait comme un taureau, plein de désir. Avec le temps, son désir s’est émoussé et il ne venait plus vers moi. Nous avons tout tenté, les cheikhs, les exorcistes, les prêtres et de nombreux médecins spécialistes. L’un d’eux nous a conseillé de regarder des films pornographiques, ce fut une catastrophe. J’en ai fait des cauchemars pendant des mois. Un autre a voulu me déflorer artificiellement, Tarek a refusé. Et le dernier, nous a proposé de faire l’amour chez lui, nous nous sommes enfuis en courant… »
La peur du sexe, fruit des tabous et du manque d’information.
Le terme n’est pas excessif : le sexe fait parfois peur au point d’être pour certains, ou certaines, une source d’angoisse voire d’effroi. Et cette peur quotidienne, quelle qu’en soit la source ou l’intensité, est toujours inhibitrice du désir et du plaisir. Le sexe des hommes fait peur aux femmes comme le sexe des femmes fait peur aux hommes. Et ce pour des raisons différentes mais souvent similaires qui tiennent fondamentalement à la valeur symbolique de cet organe, de sa fonction et de son identité. Chez l’homme, cette peur a valeur de castration, angoisse symbolique de la perte possible du pénis, qui se concrétise dans les différents troubles sexuels masculins : difficulté ou absence d’érection, éjaculation « précocissime »…
Chez la femme, cette peur est souvent une crainte du désir de l’homme, de sa fréquence, mais également une crainte d’un rapport préfiguré comme douloureux ou brutal, comme dans le cas de Wafa..
Dans la grande majorité des cas, la peur du sexe masculin est liée à la profonde ignorance qu’a la femme de son propre sexe, de son anatomie, de sa physiologie : comment et jusqu’ou un organe aussi gros peut-il pénétrer ? Cette peur est souvent provoquée par la méconnaissance de ses propres réactions sexuelles. En effet, elle ignore que le vagin est souple, robuste et adapté aux rapports sexuels et qu’il n’y a pas de risques qu’il se déchire comme elle l’imagine souvent.
‘Dans la grande majorité des cas, la peur du sexe masculin est liée à la profonde ignorance qu’a la femme de son propre sexe’
« Nous avons ensuite consulté un sexologue, continue Wafa. Et tout au long de la thérapie, j’ai appris à explorer mon corps, surtout mon sexe qui m’était totalement inconnu. Je m’imaginais mon vagin comme un petit trou étroit sans profondeur qui allait être déchiqueté par la pénétration. Je me figurais ma vulve comme la partie la plus sale et la plus dégoûtante de mon anatomie. Quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai découvert la douce texture de mon intimité… Pourtant, au fur et à mesure que ma peur tombait, Tarek devenait de plus en plus distant et fuyait nos rencontres amoureuses. Non seulement il me fuyait comme la peste, mais son sexe était devenu un objet inanimé et inerte qui ne réagissait à aucune stimulation. Il était terrifié à l’idée de me perdre en cas d’échec… Travailler sur notre couple nous a appris bien des choses… Nous avons aussi réalisé que nous n’étions pas prêts à avoir des enfants, que nous avions besoin de plus de temps… »
Des couples qui se choisissent
Ainsi, qu’il s’agisse d’un mari dit impuissant ou éjaculateur précoce, d’une épouse étiquetée vaginique dans les deux tiers des cas, sinon dyspareunique et parfois phobique, le symptôme de l’un cache souvent le symptôme de l’autre. Cela peut nous surprendre, mais il existe en fait, pour une majorité, une complémentarité au sein de ces couples, un équilibre préservé qui gravite autour d’un coit impossible. Ainsi, ce qui permet à ces unions de survivre sans rupture ni divorce, sans infidélité ni même désir de tromperie, est un choix initial des inconscients réciproques portant sur un « partenaire idéal » qui ne transgressera pas l’interdit et respectera le non-désir de l’autre.
Comme l’explique Willy Pasini dans on livre ‘A quoi sert le couple’ : « un tiers des mariages non consommés n’est déterminé ni par le vaginisme, ni par l’impuissance, mais par la complémentarité des problèmes des deux partenaires qui ne se sont pas choisis par hasard ».
Selon diverses études, l’époux de la femme vaginique, dyspareunique ou phobique, est généralement d’un niveau intellectuel élevé, et n’a pas réussi à se libérer des tabous imposés par une famille traditionaliste. Leur inexpérience confine parfois à la naïveté et à « l’analphabétisme » sexuel. Presque toujours, au dire même de l’épouse, « le conjoint est timide, courtois et patient », ce qui doit être traduit dans son langage par « inoffensif sur le plan sexuel ». Cette dernière qualité rassurante est le facteur déterminant de son choix conjugal.
« Ca fait cinq ans qu’on est mariés, mais je ne m’y fais toujours pas. Je ne peux pas le voir nu et encore moins le toucher. D’ailleurs je ne me regarde jamais moi-même. Je n’aime pas mon corps. » Jeannette, 37 ans, consulte après plusieurs années d’hésitation pour cause de non-consommation de mariage. Ce qui lui semblait jusqu’à présent la chose la plus naturelle du monde crée aujourd’hui de fortes tensions dans le couple qu’elle forme avec Gilbert, un mari timide, résigné et inexpérimenté qui n’a jamais osé exprimer réellement ses désirs. L’éjaculation rapide de ce dernier n’arrange pas les choses… De plus, l’image très dévalorisée d’un père alcoolique et violent ne permet en aucun cas à Jeannette de relâcher sa vigilance lorsque approche son mari. A la suite de la thérapie, Jeannette avoue : « On a eu deux rapports, il a pu me pénétrer et je n’ai pas eu mal. J’en suis très surprise. En fait, j’aime bien maîtriser ce qui m’arrive et quand on fait l’amour, il y a toujours un moment où je ne maîtrise pas. Et c’est ça qui me gêne. C’est en fait mon désir qui me gêne, car il est un peu sauvage. C est une part de ma personnalité que je refoule. J’ai souvent envie de le mordre, d’être fougueuse… J’ai alors bien envie qu’il participe mais j’ai peur qu’il me domine »
Une agressivité mal intégrée
La passivité du partenaire masculin explique ainsi que la défloration puisse être différée pendant des mois, voire des années. Plus ce délai se prolonge et plus s’accroît le risque d’une impuissance secondaire, comme dans le cas de Gilbert, Tarek et d’Elie. Selon les statistiques, 50% des époux se révèlent incapables au départ d’assumer leur fonction « d’agression coïtale », au point que certains spécialistes rendraient cette inaptitude responsable du vaginisme dans une grande majorité des cas. D’autre part, 13% des hommes développent une impuissance érectile secondaire au moment où leurs partenaires parviennent à se débarrasser de leur vaginisme, phobie et dyspareunie. C’est dire que la problématique fondamentale de ces couples dysfonctionnels se situe au niveau d’une agressivité mal intégrée. L’inhibition de l’agressivité au plan de la communication affective et corporelle, tant chez l’épouse que chez son partenaire, entraîne l’inhibition des réponses sexuelles.
Avec Jeannette, nous avons pu arriver à la conclusion qu’entre contrôle de soi et contrôle de l’autre, la voie royale est très certainement celle de l’écoute mutuelle, de soi et de l’autre, de ses propres pulsions et de la façon dont l’autre y répond. Le contrôle et la maîtrise de l’agressivité ne servent paradoxalement qu’à renforcer le caractère inquiétant du déchaînement des pulsions.
Dr. Sandrine Atallah