Alcool et sexualité font-il bon ménage ?

Quand les scientifiques nous parlent d’alcool et de sexualité, on ne sait plus à quel saint se vouer. Un jour, trois verres protègeraient nos artères et du coup potentialiseraient nos performances sexuelles. Le lendemain, la moindre goutte serait catastrophique pour nos vaisseaux et notre sexualité. Qu’en est-il donc en réalité ? L’alcool est-il vraiment une aide utile ou un piège à éviter ?  Pour en savoir plus, nous nous sommes penchés sur les dernières études scientifiques concernant l’alcool et la sexualité.

 

Alcool et sexualité : Etat des lieux

Force est de constater que les rapports entre alcool et sexualité n’ont été à ce jour que rarement étudiés, ces deux domaines se trouvant marqués de préjugés et de tabous même parmi les scientifiques: les rares études entreprises se réfèrent surtout aux comportements sexuels des malades alcooliques hommes, plus rares encore sont les travaux concernant l’impact de la consommation excessive d’alcool sur la sexualité de la femmes. Pourtant quelles que soient les époques, quelles que soient les cultures, alcool et sexualité ont toujours été étroitement mêlés.

 

Une réputation trompeuse

Il est certain que l’alcool en général, le vin plus particulièrement, véhicule un mythe, celui de la puissance virile : boire de l’alcool est ainsi une affirmation de la virilité et savoir tenir la boisson un signe de puissance.

L’alcool a aussi la réputation de stimuler la capacité sexuelle. Ainsi d’une manière générale, le sujet non alcoolique considère l’alcool comme un excitant sexuel, à tel point qu’il oublie qu’en réalité, l’ivresse abaisse la capacité sexuelle voire même la réduit à néant. Ainsi, la croyance aux vertus viriles et virilisantes de l’alcool est très vivace dans la pensée populaire. Mais qu’en est-il de cette croyance ? Quels sont les effets de l’alcool consommé avec modération sur la sexualité féminine et masculine.

 

« L’alcool me donne des ailes, plus rien ne me résiste. Il me suffit d’un verre pour décoller  et avoir le courage de draguer une femme. Mais sans ma petite dose d’alcool, je n’en ai pas le courage et perds tous mes moyens. Au lit, c’est pareil : quand je ne bois pas je perds mon érection. Pour moi, l’alcool est le plus puissant aphrodisiaque» Naim, 32 ans

 

Un aphrodisiaque imaginaire

De nombreuses études scientifiques ont permis récemment d’apporter quelques précisions quant au rôle d’excitant sexuel attribué à l’alcool : les résultats de ces travaux montrent que l’absorption d’alcool, à dose modérée, freine nettement l’excitation sexuelle, mesurée par l’intensité de l’érection chez les hommes et par la quantité de lubrification chez la femme. Paradoxalement, cette alcoolisation ou à la limite la seule idée d’absorber de l’alcool, donnent l’impression au sujet d’accroître son excitation sexuelle. Ainsi l’effet d’un peu d’alcool sur l’érection est uniquement un effet d’attente. Si un homme pense avoir bu de l’alcool, son érection est de meilleure qualité, qu’il s’agisse vraiment d’alcool ou qu’il s’agisse d’une boisson que l’on a fait passer pour de l’alcool. En revanche, s’il croit boire une boisson non alcoolisée, son érection ne varie pas… même si en fait il s’agit d’alcool qu’on lui a caché. En d’autres termes, si l’alcool a la réputation d’améliorer l’intensité et la qualité des rapports sexuels par d’éventuelles vertus aphrodisiaques, c’est essentiellement dans notre imagination que cela se passe…

Néanmoins, le contrôle de l’éjaculation supposé induit par la consommation d’alcool est pour sa part bien réel et ce par le biais même de la diminution de l’excitation !!! En réalité, l’alcool permet un allongement du temps de latence du réflexe orgasmique et de ce fait donne l’illusion d’un meilleur contrôle de l’excitation sexuelle. Ainsi, si le ralentissement de l’éjaculation a été démontré par les études scientifiques, il n’en est pas de même pour l’érection.

 

« Au début de mon mariage, je souffrais de vaginisme. Mon gynécologue m’a alors conseillé de prendre un verre de vin avant tout rapport sexuel afin de me détendre. J’ai suivi son conseil et l’alcool m’a en effet permis de lâcher prise et d’accepter petit à petit la pénétration. Malheureusement, si je ne bois pas, la peur d’avoir mal m’assaillit à nouveau. Du coup, je me suis habituée à siroter un petit verre avant de faire l’amour. J’ai peur de devenir dépendante à l’alcool. Est-ce possible ? » Valia, 28 ans

 

Une lâcher prise à potentiel dangereux

Consommé à faible dose, l’alcool agit directement sur le système nerveux et vient ébranler les interdits liés à la séduction et à l’intimité. En levant les inhibitions, l’alcool fait disparaître les tabous sexuels. Il permet aussi de prime abord un état de détente contrecarrant le mécanisme de certaines difficultés sexuelles (vaginisme, dyspareunies, éjaculation rapide). Cependant, si l’anxiété et la pudeur se diluent dans l’alcool, celui-ci a un effet de tolérance. Cela signifie que même si au début, l’alcool semble être bénéfique (en ralentissant par exemple l’éjaculation ou en permettant aux femmes de relâcher leurs muscles périnéaux), en augmenter progressivement les doses devient progressivement nécessaire pour obtenir le même effet. Cela est donc extrêmement dangereux car l’individu se retrouve dans un engrenage qui peut conduire jusqu’ à la dépendance alcoolique. Rares sont ceux qui sont conscients du fait que de nombreux alcooliques ont commencé à boire afin de surmonter une difficulté sexuelle. L’alcool est de ce fait totalement à exclure en tant que ” remède “, que ce soit pour pallier une timidité, une difficulté érectile ou éjaculatoire, de lubrification ou d’orgasme.

De plus, la permissivité de la prise d’alcool pour favoriser l’excitation sexuelle (qu’elle soit objective ou subjective) faciliterait le passage à l’acte tout en dégageant l’individu sous l’emprise de l’alcool de sa responsabilité (agressions sexuelles, viols, etc.). Cela s’explique par le fait que l’alcool, en raison de ses propriétés au niveau du système nerveux, lève les interdits sociaux favorisant ainsi la criminalité sexuelle.

 

« Depuis son licenciement, mon mari s’est mis à boire. Au début, cela ne me gênait pas, l’alcool lui permettait de se détendre et je retrouvais en lui l’homme que j’aimais : jovial, amusant, au lieu du bonhomme taciturne qu’il était devenu. Mais depuis, il ne fait qu’augmenter les quantités. Plus de petit verre pour se vider les idées, il lui arrive de boire plusieurs bouteilles par jour du matin jusqu’au soir. De plus, il s’enferme et s’isole dans son monde d’alcoolique, plus rien ne l’intéresse, même pas le sexe. L’alcool m’a volé mon mari  et je  ne sais comment l’arracher de son emprise empoisonnée » Salam, 36 ans

 

Une destruction progressive

Par ailleurs, non seulement l’alcool nuit à la santé sexuelle à faibles doses, mais il l’anéantit complètement au long cours. Les troubles de la sexualité sont de surcroît des symptômes précoces et voire même révélateurs de la maladie alcoolique.  En fait, l’action de l’alcool sur le comportement sexuel du malade alcoolique est progressive. L’évolution se fait en deux périodes : une première dite rose, marquant une sorte de lune de miel, la seconde dite noire où commencent les difficultés.

Au début de la période rose de la dépendance alcoolique, l’alcool est considéré comme un allié : il facilite en apparence le déroulement de la relation sexuelle. De plus, l’homme alcoolique ressent non seulement une augmentation de sa libido et un accroissement de ses performances, mais il a aussi l’impression d’être maître de son orgasme, de pouvoir le retarder selon son désir.  Ensuite, au début de la période noire, la personne alcoolique conserve une libido intacte, mais commence à ressentir des difficultés à l’excitation (dysfonction érectile, sécheresse vaginale…) ou à l’orgasme (anéjaculation, anorgasmie…). En conséquent, les rapports sexuels sont de mauvaise qualité et n’apportent plus la satisfaction désirée au malade alcoolique et au conjoint, insatisfaction source de conflits conjugaux. En phase terminale de la maladie alcoolique, apparaissent souvent une disparition de la libido et un désintérêt plus ou moins complet vis-à-vis de la sexualité conjugale. Au sein du couple, la communication est inexistante. Des sentiments d’hostilité, de méfiance, de jalousie voient le jour et perturbent la relation conjugale. Sur le plan physique, une alcoolisation prolongée peut provoquer chez l’homme une diminution de la taille des testicules avec une stérilité et une augmentation de la taille des seins. Chez la femmes, l’alcoolisme chronique s’accompagne fréquemment de troubles des règles (allongement des cycles, disparition des règles…) et d’une disparition quasi-complète de toute sorte d’activités sexuelles.

Alcool et dysfonctions sexuelles Hommes
Baisse de désir 50%
Baisse d’érection 57%
Erection fragile 42 %
Ejaculation tardive 52 %
Absence de deuxième rapport 41%

 

Alcool et dysfonctions sexuelles

Femmes

Baisse de désir 50%
Trouble de la lubrification 50%
Anorgasmie 58%

 

Un tango infernal

Ainsi si l’alcool est considéré dans un premier temps comme facilitateur de la relation, il devient ensuite le « tiers séparateur », ou « le troisième partenaire du couple ». L’alcool se transforme peu à peu pour le malade alcoolique en seul objet d’investissement, seul objet capable de lui procurer sinon du plaisir, tout du moins un soulagement de ses tensions et de ses angoisses. L’Autre n’a plus sa place comme objet de désir.

Par ailleurs, la relation conjugale se détériore non seulement sur le plan comportemental (violences, délire de jalousie de l’alcoolique, baisse de la libido, dysfonctions sexuelles..), mais aussi sur le plan esthétique (visage congestif, haleine œnolique..). Le rejet, la peur ou le dégoût, l’insatisfaction et la frustration se retrouvent souvent au premier plan.

 

En conclusion, si un verre de temps en temps peut certes aider à surmonter un léger blocage, à se mettre dans une ambiance plus détendue et euphorique, ou tout simplement à partager un bon moment, prudence et modération sont de mises…Rester sobre est en effet le meilleur moyen d’accéder à une sexualité épanouie.

Dr. Sandrine Atallah